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12 mai 2006

Contre l'«immigration choisie»

Cf http://www.liberation.fr/page.php?Article=381397
La législation annoncée apparaît comme la plus restrictive depuis la Seconde Guerre mondiale.

Contre l'«immigration choisie»
Par Didier FASSIN et Nathalie FERRE et Françoise JEANSON et Patrick PEUGEOTQUOTIDIEN : vendredi 12 mai 2006
Didier Fassin président du Comede (Comité médical pour les exilés), Nathalie Ferré présidente du Gisti (Groupe d'information et de soutien aux immigrés), Françoise Jeanson présidente de Médecins du monde et Patrick Peugeot président de la Cimade (Service oecuménique d'entraide).
En réponse aux émeutes urbaines de l'automne, le président de la République avait identifié deux principales causes structurelles aux événements qui ont secoué le pays : les discriminations, dont sont victimes nombre de Français nés en France mais non considérés comme membres à part entière de la collectivité nationale ; et l'immigration, qui servait une fois de plus d'explication facile aux problèmes de la société française, au risque de nourrir encore la xénophobie. La première partie du diagnostic était juste, au moins partiellement ; la seconde est inexacte et son invocation dangereuse.
Dans les semaines qui ont suivi, le gouvernement a préparé deux textes de loi. L'un, dit sur l'égalité des chances, qui a donné lieu à une importante mobilisation contre sa mesure phare, le défunt «contrat première embauche». L'autre, révisant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers et le droit d'asile, qui a été préparé dans une indifférence presque générale, hormis de la part des associations qui se sont réunies dans un front du refus d'une «immigration jetable».
Or si, en l'occurrence, le diagnostic est faux, il est fort probable que le traitement aggrave le mal qu'il est censé combattre. En précarisant un peu plus des dizaines de milliers de personnes et de familles, la législation annoncée apparaît déjà comme la plus restrictive depuis la Seconde Guerre mondiale, et ne peut qu'avoir des conséquences graves à court et moyen termes.

Derrière la formule apparemment neutre, voire consensuelle, d'une «immigration choisie», est annoncée en effet une série de mesures qui vont rendre plus vulnérables encore celles et ceux qui, souvent, n'ont guère le choix de leur lieu de résidence. Pour les demandeurs d'asile déboutés ­ à peine deux sur dix ont obtenu le statut de réfugié au cours des cinq dernières années, contre neuf sur dix il y a trois décennies ­, tout est souvent préférable au retour dans un pays où ils ont été persécutés, où des membres de leur famille ont été tués ou enlevés et où ils savent le sort qui leur est réservé s'ils rentrent. Beaucoup de conjoints et d'enfants d'étrangers en situation régulière qui ne peuvent accéder au regroupement familial ­ les conditions socio-économiques exigées n'ont cessé de s'élever depuis vingt ans ­ préfèrent vivre sans titre de séjour auprès des leurs, quel que soit le prix à payer, plutôt que de devoir rester loin de leurs proches. Quant à celles et ceux qui, depuis plus de dix ans, se sont intégrés dans la société française, ont contribué à son économie et ont développé des attaches ­ et qui se trouvent sans papiers, souvent après avoir connu de longues périodes de régularité ­, leur retour n'est guère envisageable. Or, tous se voient menacés par la législation en préparation.

La loi prévoit en effet de durcir, dans pratiquement tous les domaines, les conditions d'entrée et de séjour en France, alors que la proportion d'étrangers est la plus faible depuis longtemps et que nombre d'études montrent la nécessité pour l'économie d'un accroissement de l'immigration. Les nouvelles mesures n'affectent du reste pas seulement les flux. Elles concernent aussi les enfants de couples mixtes et les conjoints de Français qui sont soumis à des formes de contrôle toujours plus strictes. Elles touchent aussi les étrangers qui résident et travaillent en France de manière régulière et dont le licenciement par leur employeur donnerait lieu à une absence de renouvellement du titre de séjour. Ainsi la suspicion s'étend-elle progressivement à tous les étrangers, et leur précarité économique se double-t-elle désormais d'une précarisation juridique.
Déjà, une récente circulaire du ministère de l'Intérieur détaille toutes les circonstances dans lesquelles un contrôle d'identité est légal et une interpellation possible, du guichet de préfecture où l'on se présente pour obtenir un titre de séjour aux centres de soins et aux salles d'attente des hôpitaux où les malades viennent consulter, en passant par les logements détruits par un incendie devenus propices aux expulsions. On ne saurait mieux exprimer la pression policière qu'on entend faire peser sur les étrangers en situation irrégulière mais aussi, puisqu'ils ne portent pas de stigmate visible de leur absence de statut, sur l'ensemble des personnes que l'on peut supposer étrangères en raison de «signes objectifs d'extranéité», ce qui, en pratique, revient à signifier l'apparence physique. Nos associations, qui reçoivent ces personnes dont les souffrances de l'exil sont aggravées par les difficultés et les menaces qui pèsent sur leur quotidien, savent par expérience que chacun des durcissements de la législation depuis trois décennies a conduit à des situations individuelles dramatiques pour les étrangers et leurs enfants, à des reculs du droit bien au-delà des seuls irréguliers en principe visés, et à une dégradation du tissu social dont les conséquences à long terme sont aussi désastreuses que prévisibles.
Les périodes où la société française a fait porter aux étrangers le poids de ses problèmes correspondent aux pages les plus sombres de son histoire. Nos gouvernants, qui n'ignorent pas que les difficultés rencontrées par notre pays n'ont guère à voir avec l'immigration, prennent de lourdes responsabilités en laissant se détériorer ainsi les termes du contrat social qui, dans toutes les sociétés et à toutes les époques, lie les nationaux et les étrangers, les autochtones et les immigrés. Les parlementaires s'honoreraient en ne suivant pas cette voie dangereuse.

Aux associations qui défendent les étrangers et les immigrés, il est souvent reproché de ne pas avoir le sens des responsabilités.
Nous affirmons qu'aujourd'hui, c'est le gouvernement qui, en sacrifiant l'avenir du vivre ensemble et en donnant de mauvaises solutions à de faux problèmes pour de mauvaises raisons, fait preuve d'irresponsabilité.

Tenter aujourd'hui de nous faire croire que les frustrations exprimées par les enfants de parents immigrés sont la conséquence d'une immigration mal maîtrisée et non des discriminations dont ils font l'objet, prétendre qu'il faut donc durcir notre législation au risque de fragiliser un peu plus les familles étrangères, c'est contribuer à produire ce qu'on prétend combattre et nous exposer à des lendemains difficiles.

tournicoti tournicoton, pour la transformation de notre monde
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